Pour faire face à l’assèchement des effectifs dans la promotion immobilière
Partager cet article
Si les postes de développement de promotion immobilière résidentielle continuent de caracoler en tête des besoins de la promotion immobilière en ce début d’année 2022, en régions, en Ile-de-France, en résidentiel classique, en résidences services, en « diffus », en réponse à consultations – absolument tout le monde en cherche –, il va falloir se faire une raison il n’y a quasiment plus de « confirmés » disponibles et ouverts au changement aujourd’hui sur le marché…
Développeurs immobiliers : un marché asséché !
Il devient, en effet, très difficile de garantir un délai de recrutement en chasse. Quoi d’étonnant ! Nous nous sommes livrés, en cette fin du mois de février 2022, à une étude sur un échantillon de 131 directeurs et directeurs adjoints du développement identifiés chez 48 promoteurs sur le marché à la fois le plus profond et le plus actif : l’Ile-de-France.
Premier constat : 32 % de ceux qui ont ce titre ont moins de 35 ans. Et sur ces 32 %, 14 (33 %) ont de 32 à 34 ans, 17 (40 %) de 29 à 31 ans et…11 (27 %) de 26 à 28 ans. Ce rajeunissement extrême des directeurs et directeurs adjoints du développement, quasiment tous de formation supérieure bac+4/bac+5, démontre d’une part les forts besoins de la profession et, d’autre part, la nécessité de promouvoir un développeur ou responsable du développement talentueux dans les trois ans, en le nommant directeur ou directeur adjoint si on veut le fidéliser.
Ne nous y trompons pas : rappelons que, selon le 6ème Panorama de l’Immobilier et de la Ville EY/Fondation Palladio paru ce mois de février 2022, les quatre premières motivations des jeunes diplômés sont, par ordre décroissant, la rémunération (75 % d’entre eux), le cadre de vie au travail (71 %), l’équilibre entre vie professionnelle et vie privée (57 %) et les perspectives de carrière et d’évolution rapide (56 %), ceci lorsque les dirigeants de l’immobilier mettent en avant dans leurs offres d’emploi ces même critères, respectivement, à 15, 53, 42 et 24 %. Les écarts les plus élevés sont ceux de la rémunération et des perspectives de carrière et d’évolution rapide. Ces critères concernent tous les métiers de l’immobilier chez les jeunes diplômés, mais on peut néanmoins considérer, sans trop de risque d’erreur, que c’est plus encore le cas dans le développement de promotion immobilière pour trois ans d’expérience !
Des « packages » rémunération en forte hausse
Conséquence évidente : une hausse du « package » rémunération, rémunération fixe, qui va rapidement rejoindre, voire dépasser les 90/100 000 euros par an et, plus encore, une compétition au variable… Car nous observons que c’est souvent chez les opérateurs où elle apparaît la plus avantageuse que les anciennetés sont les plus grandes (au-delà de six ans, ce qui est une performance dans la fonction). La rémunération au logement développé (antérieurement 100 euros, puis 150 euros, ayant évolué vers les 250 euros, voire plus, en cas de dépassement d’objectif (+50 %) et/ou prime d’atteinte d’objectif, à laquelle s’ajoute une rémunération de 50 % de la prime au logement pour les développeurs managés par le directeur du développement ; versement le plus souvent à 50/50 % signature promesse de vente/acte authentique, désormais sans déduction au cas où l’acte authentique n’est pas signé), cède de plus en plus souvent le pas à une rémunération sur la marge nette établie dans le bilan d’opération lors du comité d’engagement, par exemple de 1 %, voire sur le chiffre d’affaires (HT) de l’opération avec un taux de 0,1 à 0,125 %, ce dernier système pouvant représenter jusqu’à +40 à +67 % par rapport aux autres. Le frein au changement résultant de l’augmentation du fixe, de l’ordre de 10 à 15 %, s’ajoute à celui de l’encours perdu en cas de départ, ce qui gonfle considérablement le « welcome bonus » qu’il faudrait verser pour faire venir un directeur du développement confirmé qui réussit, rendant déraisonnable – a priori – le transfert à ce niveau de poste…
Difficile de programmer l’aboutissement d’une mission de chasse
Sur 89 directeurs du développement en Ile-de-France âgés de plus de 35 ans, 58, soit 65 %, ont changé d’entreprise (3 depuis janvier 2022, 18 en 2021, 22 en 2020, 14 en 2019). Pour les 31 restant, 10 ont changé en 2018, 17 de 2015 à 2017, 4 avant 2015.
Conséquence : il devient très difficile, à partir de ce constat, de programmer l’aboutissement d’une mission de chasse dans un délai normal, de trois mois en général. Le professionnel satisfait, qui réussit dans son environnement, partira rarement au bout de trois ans, après plusieurs expériences précédentes de courte durée, à moins que ce soit l’opportunité du siècle. En sus de la perte de la part variable sur encours, l’instabilité professionnelle résultant de changements trop fréquents est dissuasive. Ceci, bien sûr, à l’exception des projets entrepreneuriaux ou des changements de cap.
Admettre l’alternative de l’ouverture
Il faut donc admettre l’alternative suivante : soit rechercher « le professionnel idéal », mais avec un délai aléatoire, soit rechercher un autre profil que celui du cœur de cible chez les promoteurs (directeur de programmes susceptible d’évoluer vers le développement, par exemple), soit aller le chercher chez d’autres opérateurs : directions commerciales BTP, aménageurs, SEM, établissements publics, attachés parlementaires et directeurs de cabinet, directeurs de l’urbanisme… Sous réserve de bien choisir et de le former au métier. C’est l’élaboration d’une véritable stratégie de transfert d’une fonction, d’un métier à un autre.
Cette situation n’est, toutefois, pas la première depuis les années 1990 et elle s’est jusqu’à présent résorbée en deux à trois ans après « le pic », généralement par l’intégration d’un grand nombre de jeunes diplômés par « le bas » et de professionnels confirmés, mais venant d’autres métiers et/ou d’autres secteurs par « le haut ». Mais cette fois-ci, la loi Climat et Résilience, la Zan (zéro artificialisation nette, ndlr), le malthusianisme foncier des maires, les injonctions contradictoires – construire plus, mais en hauteur et en densité, ce que peu de monde parmi les clients et les élus, souhaite – sont des variables nouvelles qui complexifient les choses.
Une tension moindre dans les autres fonctions et métiers de l’industrie immobilière
Pour les autres fonctions de la promotion immobilière, le rebond de l’activité après la pandémie, ainsi que les évolutions des usages et les problématiques techniques liées au développement durable, à la RE 2020, à la recherche d’optimisation des coûts, à l’évolution et à la conception des produits, créent aussi de fortes tensions, mais sans comparaison pour le moment avec le développement. Directeurs et responsables de programmes de plus en plus orientés vers la réalisation, avec l’entière responsabilité de la technique construction jusqu’à la réception et l’année de parfait achèvement, directeurs de centre de profit de plus en plus orientés vers le développement versus le management, du fait des difficultés foncières, valorisant de ce fait leur cursus à l’aune du niveau et de l’efficacité de leur carnet d’adresses (ce qui rend, par ailleurs, impossible, dans le cadre de leur évolution professionnelle, un changement de région, et privilégie un élargissement de leur périmètre géographique pour évoluer), responsables et directeurs techniques, et aussi fonctions corporate / administration, finance, gestion, juridique, ressources humaines, contrôle et conformité, ont été particulièrement demandés.
En matière d’investissement et de gestion d’actifs, les tensions se présentent surtout dans la logistique. Le marché est confronté à une rareté telle qu’elle produit les mêmes difficultés à trouver les asset managers spécialisés nécessitant, là encore, d’élargir la recherche à des profils moins rares, locaux d’activités notamment, et aussi logisticiens, voire grande distribution…
Quant aux acteurs de la construction, entreprises, ingénierie et prestataires techniques, les tensions sont très fortes, particulièrement chez les chefs de projet, ingénieurs études de prix, commerciaux bâtiment, d’autant qu’ils sont souvent soustraits au métier pour rejoindre la maîtrise d’ouvrage.
Pénurie aussi dans la transaction en ancien
Il n’y a pas que dans les métiers de l’immobilier dévolus aux bac+5 que la pénurie de candidats se fait sentir. Dans la transaction immobilière, dans les réseaux d’agences, tout le monde peine à trouver des talents neufs, le plus souvent des profils ayant de 2 à 5 ans d’expérience, mais les reconversions, changement d’itinéraires adaptables et vifs d’esprit sont aussi recherchés.
Plus aisément que la promotion immobilière, que la gestion d’actifs et l’investissement, les services immobiliers et, en particulier, la transaction en ancien sont prêts à recruter des professionnels moins diplômés et/ou venant d’autres secteurs d’activité, pour autant que les « soft-skills », la dynamique et la motivation soient là.
Sophie Vatté-Refes et Laurent Derote