L’emploi des cadres dans un monde d’incertitudes
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Bien que « dans un brouillard complet quant au proche avenir », le recrutement des cadres de l’immobilier s’inscrit « toujours en hausse » font valoir Laurent Derote et Sophie Vatté. Le président et la directrice générale de DVA Executive Search analysent au cordeau le recrutement dans les différents métiers. En concluant sur une note encourageante : « il faut s’inscrire dans une nouvelle économie circulaire » qui « doit être croissante et non décroissante avec, certes, des critères de croissance du PIB qu’il est nécessaire d’enrichir »…
282 000 recrutements : c’est l’estimation 2022 de l’Apec (Association pour l’Emploi des Cadres), dépassant ainsi le record de 2019. De plus les intentions d’embauche à fin septembre, résultant du dernier baromètre sont très favorables, atteignant des niveaux qui n’ont été dépassés qu’une seule fois depuis ces deux dernières années, en décembre 2021, rebondissant tout particulièrement dans les grandes entreprises depuis la fin des deux premiers trimestres 2022 marqués par la guerre en Ukraine et la prise de conscience que cette dernière allait altérer le rebond de l’après-covid sur lequel tout le monde comptait d’où les belles anticipations de fin 2021. Simultanément les statistiques de l’Insee faisaient apparaître une résistance de l’emploi salarié bien au-delà des attentes avec la création de 89.400 postes supplémentaires au troisième trimestre au lieu de 59.000 prévus.
La bonne santé de l’emploi
Dans la construction l’emploi est resté stable à un niveau plus élevé que celui de fin 2019, et c’est dans le tertiaire marchand qu’il a connu la plus forte hausse représentant l’essentiel de celle du troisième trimestre. Par ailleurs la population des cadres ne semble pas touchée par « la grande démission » propre à de nombreux salariés. La majorité d’entre eux considère que changer d’entreprise est une opportunité, un tiers aurait été approché ces trois derniers mois par un cabinet de recrutement, enfin, de façon quasiment unanime, toutes les entreprises connaissent de grandes difficultés à recruter.
Cette bonne santé de l’emploi n’est pas le moindre des paradoxes quand inflation, crise énergétique, risque de récession, contexte géopolitique, évènements climatiques majeurs, risque de crise sociale, attisent toutes les anxiétés. S’agit-il d’un décalage de phase ? Sommes-nous au point d’inflexion au moment où la crise va rattraper une offre d’emplois cadre pléthorique, induite par le rebond de l’après-covid après 18 mois de blocage total ou partiel de l’activité ? On peut certes le penser, mais on observe que les marchés financiers ont digéré les mauvaises nouvelles, y compris la hausse des taux, et reprennent une belle santé avec + 16,4% pour le Cac 40 de fin septembre à mi-novembre, que les bilans des entreprises restent sains et leurs valorisations cohérentes par rapport aux résultats attendus.
Ainsi sommes-nous dans un brouillard complet quant au proche avenir. Ce qui est certain, c’est que si la guerre s’arrêtait, si des accords de paix étaient signés, nous assisterions à un puissant rebond des marchés, préludant sans doute à une révision favorable des perspectives économiques pour 2023, encore que ce n’est pas pour autant que les problèmes liés au coût de l’énergie seraient réglés du jour au lendemain. Si la situation s’éternise comme c’est probable, nous oscillerons entre -0,5 et +0,5 % de croissance. Ne parlons pas d’une extension majeure du conflit, qui reste possible sinon probable. L’évolution de la conjoncture, tout comme la sécurité en Europe peut très bien ne tenir qu’à un fil…
Le recrutement des cadres dans l’immobilier toujours en hausse
En matière de recrutement des cadres de l’immobilier et de ce que nous pouvons en juger au travers de notre propre activité, nous sommes toujours en hausse à fin octobre par rapport à 2021 à la même date. Mais l’écart s’est réduit en termes de signature de nouvelles missions : +6 % au lieu de +12 % en nombre, +13 % au lieu de + 17 % en valeur, et si la demande est encore dynamique à fin octobre, nous observons comme le lait sur le feu une érosion des contacts en cours à fin mois susceptibles de déboucher sur des signatures, ce qui est encore compensé, à ce jour, par des décisions « spots » suite à un nouveau contact non connu en fin de mois et débouchant sur une signature dans le même mois, traduisant toujours une urgence du besoin…Avec le risque pour le proche avenir, que les contacts « spots » se tarissent et que les encours en négociation s’annulent le mois suivant.
Les promoteurs et aménageurs recherchent toujours autant de développeurs… Qu’ils ne trouvent pas !
Les promoteurs et aménageurs sont inquiets, constatant le malthusianisme persistant des maires en matière foncière, s’ajoutant aux recours toujours nombreux sur des opérations pourtant agréées par la collectivité, et depuis quelques mois, à la chute de la commercialisation, attribuée hier à l’insuffisance de l’offre, aujourd’hui à la désolvabilisation résultant de l’augmentation des taux et à l’environnement anxiogène pour acheter, qu’il s’agisse des accédants ou des investisseurs privés. Pourtant les opérateurs recherchent toujours autant de développeurs de tous les niveaux, en diffus pour le gré à gré mais aussi en réponse à appels à projet, concours et consultations. Ils totalisent 44% des missions, la moitié en développement, le tiers en programme et grands projets, le solde en technique, et aussi en relations investisseurs pour l’immobilier d’entreprise, qui représente tout de même plus de 20% du total des missions en promotion. Les régions se taillent la part belle : plus de 60% des missions de promotion, tout particulièrement la région Nord pour laquelle nous n’avions jamais eu autant de demandes avec près de 30% des missions en région, à égalité avec l’Ouest (Pays-de-Loire – Bretagne). Viennent ensuite, Rhône-Alpes, PACA, le centre puis le Sud-ouest. Dans la moitié des cas il s’agit de créations de poste, et parfois, issues de nouveaux opérateurs régionaux.
« En matière de recrutement des cadres de l’immobilier nous sommes toujours en hausse à fin octobre par rapport à 2021 à la même date »
Nous constatons une augmentation de la part des investisseurs institutionnels
Les investisseurs institutionnels augmentent encore leur part à 21% des missions à fin octobre, qui se répartissent entre des fonctions « value-add » : Head of project management, projects managers, technical asset-managers, development project manager France, directeurs techniques, des fonctions « capex » – technical property manager, bien sûr, de l’asset-management et de l’investissement : asset-managers tertiaire, asset-managers logistique, asset-manager France – Europe, investment managers, directeur acquisition et asset-management, asset & investment manager Germany, « head of France » et « country manager », directeur property-management actifs résidentiels, équipes d’analystes et de « Quants »… Enfin, la commercialisation locative est représentée sur Paris, mais aussi en région, seule exception pour des opérateurs essentiellement parisiens. Il s’est agi de SGP, d’investisseurs et gestionnaires d’actifs OPCI et FIA, de fonds d’investissement internationaux, de foncières de développement, de fonds de private equity… La logistique est très présente, avec un tiers des missions.
L’immobilier commercial résilient
L’immobilier commercial reste résilient et totalise 16 % de nos missions à fin octobre. Les enseignes de restauration sont très actives avec plus de 41 % de notre activité dans ce secteur. Nous avons recherché pour elles, mais aussi pour la grande distribution, en l’Ile-de-France et en régions (Sud-Est, Centre et Sud-Ouest), des responsables et directeurs expansion, des ingénieurs et directeurs construction, un directeur immobilier – expansion et construction. Les foncières de galeries commerciales et « retail parcs » nous sollicitent pour des recherches en négociation commerciale, investissement, asset et property-management, pour des postes sièges aussi, notamment en direction juridique. Enfin, des recherches de consultants spécialisés en transaction commerciale pour des conseils immobiliers nous ont également été confiées. On observe des besoins pointus en technicité, en particulier en conception et aménagement d’espaces, travaux complexes nécessitant des profils d’ingénieurs construction expérimentés issus de l’immobilier industriel et tertiaire, dotés d’une expérience à l’international, la recherche d’architectes en conception et aménagement d’espaces, ou encore d’experts dans la maîtrise des coûts de construction…La restauration et la distribution alimentaire font toujours face à des besoins en développement et en construction, et s’adaptent à de nouveaux profils émergents. Elles sont ouvertes aux recrutements de jeunes diplômés sur lesquels elles investissent en formation et capitalisent sur l’avenir en leur offrant un plan de développement de carrière compatible avec leurs souhaits personnels et professionnels. On note aussi une extraordinaire capacité d’adaptation et d’ouverture des professionnels de l’immobilier commercial, qui sont plus que d’autres capables de d’intégrer rapidement d’autres classes d’actifs et environnements : logement, hôtellerie, parcs d’activité et même tertiaire…
« En cette fin d’année nous devons nous adapter au management flexible et à la gestion d’entreprise dans l’incertitude »
Tout concourt au recrutement dans la filière construction
Les professionnels de la construction, management de projet, ingénierie, architecture, AMO, clés-en-main, déjà très recherchés par les maîtres d’ouvrage – promoteurs, investisseurs, immobilier commercial, le sont aussi par les sociétés spécialisées, les maîtres d’œuvre, l’ingénierie et bien sûr, le bâtiment. Si ces opérateurs ne représentent que 8 % de nos missions, les fonctions techniques – construction totalisent plus de 20 % de nos missions, arrivant juste après les missions de développement – montage et programmes (45 %), avant les missions d’investissement et de gestion d’actifs (15 %) ; les fonctions de commercialisation – marketing (mais pas dans la promotion résidentielle) puis les directions générales et de centre de profit arrivant juste après (8 % chaque) pour finir par les fonctions support (direction juridique, DAF, direction des études, notaires salariés…).
Bien sûr, les fonctions liées au développement durable sont essentiellement recherchées dans la construction et dans des associations fédérant industriels et opérateurs de la construction. Tout concourt aujourd’hui aux recrutements dans la filière construction : management de projets et conduite de chantiers de plus en plus complexes, valorisation d’actifs par la transformation, économie de la construction et optimisation de coûts qui s’envolent, bilan carbone, développement durable et économie du recyclage, dépollution et reconversion de friches industrielles, de friches commerciales, fonctions de chiffrage et commerciales bâtiment. L’offre d’emplois ou plutôt la demande du marché, est telle que les professionnels sont en pénurie, approchés en permanence.
Les services et conseil à l’immobilier – administration de biens, notariat, conseils -, le logement social -, les directions immobilières des entreprises utilisatrices, totalisent 11 % de nos missions à fin octobre.
En cette fin d’année nous devons nous adapter au management flexible et à la gestion d’entreprise dans l’incertitude, tout en restant mobilisé, constructif, positif et structuré, solide pour tracer son chemin, personnel et professionnel dans un flot d’injonctions contradictoires, de manipulations, de complotisme, déclinisme, collapsologie, wokisme, nouveau communisme sous couvert d’écologie radicale. Les valeurs universelles existent toujours, il faut y croire et les tenir, il y a de bons fondamentaux économiques, le pire n’est jamais sûr, il faut s’inscrire dans une nouvelle économie circulaire portée par la technologie, l’innovation, avec bien sûr des capitaux à investir. Mais l’argent est là. Cette économie circulaire doit être croissante et non décroissante, avec certes des critères de croissance du PIB qu’il est nécessaire d’enrichir.
Sophie Vatté-Refes et Laurent Derote