La visioconférence est-elle adaptée à l’entretien de recrutement de managers de l’immobilier ?
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La crise pandémique qui nous assaille depuis bientôt trois mois a des conséquences terribles sur l’économie, dont nous ne mesurons pas encore toute l’ampleur car des inconnus demeurent : le covid-19 se tasse, nous en sommes à la troisième phase de la courbe de Gauss, le déconfinement est en route et l’évolution vers la normalité pourrait être bien engagé à la rentrée. Sur ses bases, les conséquences économiques sont aujourd’hui cadrées et représentent une perte de 11% à 12% du PIB. Mais en cas de rechute, un scénario en W, qui reste possible, serait désastreux et nous plongerait dans l’inconnu.
Dans ce contexte, nous avons pu bénéficier, d’une part de la tertiarisation des activités économiques qui représentent plus de 70% du PIB en France, d’autre part, d’internet et des techniques de télécommunications. Que se serait-il passé si le confinement avait eu lieu dans ces conditions avant l’arrivée d’internet, en 1990 ? Peut-être n’aurions pas pu nous permettre le confinement choisi pour privilégier la sauvegarde des vies.
Incontestablement la communication mobile et la visioconférence nous ont été d’un grand secours pour maintenir des pans entiers des activités économiques et pour compenser, humainement, la désocialisation liée au confinement, en partie tout du moins. Au point d’accélérer une évolution qui aurait sans doute pris 5 ans. Au point, même, de créer des ruptures dans les usages, les modes de vie, d’habitat et de travail, l’occupation des bureaux, la mobilité urbaine, en passant de 5% à probablement 25% voire 30% en télétravail en moins d’un an après un pic de 3 mois.
Le télétravail et l’un de ses outils essentiels, la visioconférence, sont donc des bienfaits extraordinaires, tant d’un point de vue économique que social, en ayant permis la poursuite de bon nombre d’activités, individuelles et collectives et l’esprit humain a su leur trouver des usages créatifs et artistiques pour nous distraire : sketchs humoristiques, concerts en ligne, largement diffusés.
Toutefois le télétravail se conçoit difficilement à 100% durablement et il nécessite à la fois une grande autonomie du télétravailleur et un mode de management spécifique. Encadré de façon trop directive et fréquente par manque de confiance du manager dans la capacité de ses équipes à être autonomes, il peut devenir une nouvelle source de crispation voire de burn-out. Insuffisamment animé, la désocialisation peut guetter certains, faire perdre motivation et dynamique ou encore, sens des priorités et organisation ; le télétravailleur dérive. Bref, un nouveau besoin apparaît, prioritaire : la formation des managers au pilotage des équipes à distance, avec bienveillance, lucidité et efficacité (intégrant aussi la sélection car le télétravail n’est pas adapté à tout le monde). D’autant que deux qualités du manager s’expriment plus difficilement voire pas du tout dans ce contexte, le renvoyant à une voix ou une image en deux dimensions sous un seul angle, manquant d’expression corporelle : le charisme enthousiasmant et bienveillant, et la capacité à créer les conditions d’une sérendipité positive : hasards des relations formelles et informelles d’une équipe présente sur un même lieu, créant les interactions neuronales, spontanées, initiatrices d’idées nouvelles, de solutions originales …Cela, malheureusement, la visioconférence ne le permet pas, les synergies de groupe sont difficiles à stimuler, chaque participant est « dans son tuyau » et « les synapses » ne fonctionnent pas.
En matière d’entretien de recrutement, là encore le télétravail et son outil principal, la visioconférence, se sont révélés indispensables pour la continuité de l’activité de recrutement par approche directe. Eliminons tout de suite le cas du candidat approché déjà connu du consultant. La question de la perception et de l’évaluation de ses caractéristiques comportementales, de ses « soft-skills », ne se pose pas – ou peu- puisqu’il a déjà été rencontré en présentiel. Par contre, lorsqu’il s’agit d’un entretien « de découverte » puis d’évaluation, la visioconférence enlève à mon sens 30% à 40% de la perception d’une personnalité. Autant les critères de savoir-faire peuvent être évalués par rapport au poste et à son environnement, autant la perception de ceux du savoir-être devient plus approximative : entretien de face à face convenu sous un seul angle dès que la connexion est établie, aucune expression corporelle autre que celle du visage et des épaules – quand la réception est excellente ce qui n’est pas toujours le cas – décalage quasi-systématique des voix entre l’émission et la réception, empêchant la spontanéité et la vivacité des échanges sous peine de quiproquo, d’humour tombant à plat et perturbant de ce fait consultant et candidat. Si l’entretien Visio présente les avantages de contraindre à une certaine discipline d’horaires et de pouvoir être organisé rapidement et souplement en cas d’éloignement géographique, il limite fortement, d’un côté comme de l’autre, les capacités d’improvisation, l’usage de l’humour, la répartie, l’originalité. Autant de dimensions qui donnent du relief, tant à celui qui se vend qu’à celui qui achète…Et particulièrement en « Executive Search », chacun lors de l’entretien, est alternativement vendeur et acheteur : le consultant doit vendre le poste et évaluer le candidat ; ce dernier doit se vendre et évaluer l’adéquation et l’intérêt du poste pour lui.
La plupart des consultants en recrutement utilisaient déjà la visioconférence pour des entretiens de recrutement, notamment pour les missions en région et à l’international. En ce cas, le premier déplacement a lieu généralement 1 mois à 1 mois ½, le temps d’identifier et d’approcher un nombre significatif de professionnels afin de programmer 5 à 7 entretiens dans la journée en prenant les précautions nécessaires à la confidentialité des rendez-vous. Afin d’assurer une continuité dans le processus, utile tant pour maintenir l’intérêt de professionnels sollicités lors des approches directes que pour l’optimisation du temps de travail et des délais, les premiers rendez-vous pris déboucheront sur un entretien en visioconférence, qui sera ensuite validé en présentiel lors du déplacement, le programme comprenant donc des entretiens de validation des premiers professionnels vus en visioconférence, plus courts, et des premiers entretiens d’évaluation pour les professionnels approchés peu de temps avant la programmation de la journée de déplacement, plus longs.
Bien sûr, cette validation n’a pas été possible pendant le confinement et certains recrutements ont été réalisés entièrement en visioconférence, tant du côté du consultant que de celui de l’employeur client. Mais en ce cas il est le plus souvent nécessaire – les entretiens en Visio étant généralement plus courts qu’en présentiel – de compenser cette absence de relation directe en doublant l’entretien Visio à un autre moment, en multipliant aussi les contacts téléphoniques en approfondissant les échanges sur le test projectif de personnalité, en prenant un plus grand nombre de références professionnelles.
Si la crise sanitaire a considérablement accéléré le télétravail et l’usage des outils de visioconférence dont l’utilisation est particulièrement précieuse en période de confinement, avec toutes les conséquences à venir sur les modes de vie, de travail et de mobilité, si elle a dopé la croissance de la part du commerce en ligne, elle montre aussi les limites du virtuel.
Comment développer son carnet d’adresses avec des Webinaires ? Sans colloques, salons ni clubs professionnels, sans déjeuners conviviaux et d’affaires, sans évènementiels dont les métiers de l’immobilier, en particulier mais pas seulement, ont toujours fait un grand usage ?
Il y a de la déperdition en matière de synergie et de productivité liée. Nous sommes des êtres humains, à la fois indépendants et sociaux, nous avons besoin de nous rencontrer, de nous percevoir, d’être en empathie pour créer, travailler à une œuvre commune, pour réaliser en donnant du sens…