L’emploi dans l’immobilier : une dynamique percutée par la géopolitique
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2022 a bien commencé après une année 2021 de forte reprise dans tous les secteurs d’activité. Les bénéfices ont été record pour une bonne partie des entreprises du Cac 40 et s’il y avait bien quelques préoccupations en fin d’année, tout le monde s’accordait à dire qu’il s’agissait de tendances conjoncturelles nées du choc de la demande après deux années de pandémie.
Concernant nos métiers, il y avait certes l’ombre au tableau du malthusianisme foncier des collectivités territoriales, pesant sur la promotion immobilière, générant de très forts besoins dans toutes les régions en matière de développement et montage de nouvelles opérations, mais là encore on espérait que la situation s’améliorerait après les élections.
Las, la géopolitique met à mal ce souffle d’espoir ! Le double effet de la guerre en Ukraine et du confinement total des grands pôles économiques en Chine, provoquant ralentissement, blocage de la production et rupture d’approvisionnement dans l’économie mondialisée que nous connaissons, transforme ce qui était conjoncturel en structurel : forte inflation, remontée des taux d’intérêt, pénurie de circuits intégrés, de matières premières et autres, hausse considérable des coûts énergétiques… Bref, nous rentrons dans une période d’incertitude et d’inquiétude, générant une brutale remise en cause des projections favorables d’après Covid.
Un excellent cru 2021 et un début d’année prometteur
Chez DVA Executive Search, 2021 fut une très bonne année nous permettant de retrouver les niveaux d’avant crise grâce à une très forte croissance dans la promotion immobilière dans les fonctions de développement et de direction opérationnelle dans tout l’Hexagone, mais aussi en fonctions siège, grâce également à une très bonne activité chez les institutionnels, à une résilience dans l’immobilier « retail » et au maintien d’une dynamique dans la construction.
Le premier quadrimestre 2022 a été remarquable. Nous avions dépassé de plus de 20 % les signatures de fin avril 2021 en nouvelles missions, ce qui nous permettrait, si ce rythme était maintenu toute l’année, d’arriver à 140–150 missions de chasse.
Les promoteurs privés en ont représenté 37 %, en nombre, les investisseurs institutionnels et l’immobilier « retail » sont en nette progression avec près de 20 % chaque, le solde se répartissant entre MOD et ingénierie, logement social et services à l’immobilier.
Nous avons essentiellement recherché des managers de projets et développeurs chez tous les opérateurs : directeurs et responsables du développement en promotion, directeur expansion enseigne, responsable montage chez l’investisseur ; quelques directeurs grands projets, directeurs d’opérations et directeurs de programmes.
Les fonctions techniques construction et entretien-maintenance viennent ensuite : directeurs de projet et économiste de la construction dans l’ingénierie, directeurs techniques et responsables techniques conception dans la promotion, ingénieurs travaux au sein de grandes enseignes, managers de projet chez des institutionnels…
L’investissement et la gestion d’actifs suivent avec une prédominance logistique : directeur pôle asset–management, « transaction manager » et respon–sable property management de foncières en espaces commerciaux, analystes et asset managers en logistique et en tertiaire au sein de gestionnaires d’actifs et de SGP (sociétés de gestion de portefeuilles, ndlr), directeur acquisitions et asset-management chez un gestionnaire d’investissement international…
La commercialisation reprend des couleurs avec la recherche d’un directeur transaction chez un promoteur spécifique en immobilier d’entreprise, d’un directeur de la commercialisation chez un institutionnel, d’un ingénieur commercial marchés collectivités territoriales chez un ingénieriste de l’énergie, enfin, d’un responsable négociation commerciale en Outre–mer pour une foncière en espaces commerciaux.
Les postes de direction générale et de centre de profit, dans la promotion résidentielle, chez un opérateur international pour sa filiale française, les postes d’administration–finances–gestion (directeur administratif et financier dans la maîtrise d’oeuvre, directeur des études prospectives dans une organisation professionnelle, notaires salariés) ferment la marche.
Perspectives 2022 : des besoins considérables… qui vont s’étaler
Pour revenir aux perspectives 2022, il est difficile de prédire à quel point l’attentisme dû au contexte géopolitique qui va probablement s’étaler dans le temps l’emportera sur le rebond des besoins en recrutements nés de l’effet de rattrapage de la pandémie car plusieurs facteurs pourraient en atténuer les effets.
En premier lieu, dans la promotion résidentielle, la faiblesse de l’offre commerciale mise en exergue par la FPI (Fédération des Promoteurs Immobiliers, ndlr) ne laisse pas le choix aux promoteurs : il faut reconstituer cette offre en s’adaptant très vite aux évolutions du marché, aux nouvelles contraintes des acquéreurs et à celles de la décarbonation.
Mais difficile de concilier ce qui paraît inconciliable : baisser les prix de 10 %, offrir plus de prestations (balcons…) et intégrer la nouvelle RE 2020 ! C’est donc un sacré challenge, aux injonctions contradictoires, tout comme construire sans artificialiser les sols, sachant que la reconversion de friches industrielles ne suffira pas à répondre aux besoins criants en logements, d’autant que d’autres besoins vont apparaître tout aussi criants, résultant du changement de paradigme que nous vivons.
En effet, fini la mondialisation à tout crin, il faut « réindustrialiser la France » et, donc, construire des usines, des parcs d’activité, de la logistique « nouvelle » moins de XXL, plus de proximité et de surfaces intermédiaires –, muter vers une économie du recyclage, poursuivre le développement du e–commerce, lancer celui des data–centres et des laboratoires/life–sciences, qui vont croître très vite. Toutes ces réalisations qui doivent porter en elles l’évolution vers une écologie de croissance devraient aussi être construites sur d’anciennes friches industrielles recyclées. Mais il est plus que probable que ces dernières ne seront pas suffisantes ! Etablissements publics, collectivités territoriales et leurs SEM/EPL vont devoir programmer et réaliser des opérations d’aménagement sur fond d’actions énergiques des pouvoirs publics pour répondre aux nécessités de la dé–globalisation et des besoins en logements…
Donc, les besoins en compétences et, sans doute, en effectifs, nés de ces mutations sont considérables ; ils vont, cependant, s’étaler dans le temps en fonction de la situation… Mais dans l’immédiat, outre la recherche des développeurs, celles de concepteurs techniques en BET (bureaux d’études techniques, ndlr), économistes de la construction, ingénieurs études de prix, managers de projet que ce soit en promotion, en ingénierie/MOD ou en entreprise, vont, sans doute, se poursuivre et demeurer un « casse-tête » tant la demande des entreprises est forte… Les recherches de talents vont concerner également les métiers nés de l’alliance promoteur-investisseur pour le financement des opérations, dont l’acquisition foncière sans conditions suspensives, la transformation de bureaux en logements ou encore la dépollution de terrains industriels, avec leurs conseils, juridiques, financiers, « compliance » et risques… Quant aux investisseurs, ils vont certainement redoubler de prudence… Mais aussi saisir des opportunités en « value add » et il est probable qu’un certain report se produise, sur l’immobilier sous toutes ses formes. Donc, sauf catastrophe, les énormes disponibilités financières vont se reporter un peu plus sur le « real estate »… Avec des besoins en recrutement correspondants.
Si l’attentisme et le freinage de l’économie en 2022 et 2023 ne font aucun doute, si l’économie immobilière va être touchée, notamment du fait de la désolvabilisation des acquéreurs, d’autres tendances résultant même de cette situation devraient amortir le choc pour autant que les opérateurs s’adaptent rapidement à la demande, réussissent des « challenges » de taille aux injonctions contradictoires –tous ne le pourront pas -, que les pouvoirs publics et les collectivités engagent les actions nécessaires pour libérer et fabriquer les fonciers indispensables aux réorientations stratégiques du pays pour une économie de croissance durable. Gageons que le « real estate » porteur de l’investissement productif en France réconcilie l’Etat et notre Président avec l’industrie immobilière !
Sophie Vatté-Refes et Laurent Derote